Déboire
Où il sera question d'alcool, de son pouvoir désinhibant qui libère, de la difficulté d'arrêter, de la Terre vue de l'espace et des livres qui font réaliser le problème de l'appropriation culturelle.
Cette newsletter étant particulièrement fournie, n’hésitez pas à la lire en ligne ou à bien cliquer sur “Afficher l’intégralité du message“ en bas de la page de votre boîte mail.
ATTENTION : ce texte évoque mon rapport à l’alcool et traite (entre autres) de sexualité. Si vous faites partie de ma famille, que vous avez travaillé avec moi et/ou que ce sujet vous gêne, passez directement aux coulisses.
Le mois dernier fin novembre, je vous racontais les difficultés de la fatigue chronique, ce qu’elle complique, ce qu’elle empêche. Le dernier dimanche de décembre commence à être un lointain souvenir, et je n’ai pas tenu ma promesse de régularité : la newsletter de décembre n’a pas été envoyée. J’en suis désolée, mais il y a quelques raisons à ça : mi-décembre, j’ai perdu ma grand-mère. Puis il y a eu Noël, les vacances en famille, les siestes entre deux repas, le Top de mes 24 lectures préférées de 2024, le Nouvel an. J’ai pensé que j’allais avoir le temps. Et puis j’ai été très fatiguée, encore, plus que d’habitude. J’ai passé les premiers jours de janvier à lutter toute la journée pour sortir de mon lit, sans succès. Et puis j’ai repris le travail. Et puis j’ai arrêté de boire du Coca zéro.
Ça peut paraître ridicule, mais le Coca zéro était devenu une véritable drogue pour moi.
En novembre, pour mon travail, j’ai calculé mon bilan carbone à l’aide d’un outil en ligne très pratique. À la question « quelle est votre consommation par semaine de sodas/jus de fruit ? », j’ai coché “quotidienne” et le calculateur a automatiquement entré “3 litres par semaine”. J’ai eu honte : à ce moment-là, il m’arrivait régulièrement de boire au moins 2 litres par jour, dans 4 petites bouteilles en plastique (ne cherchez plus : le réchauffement climatique, c’est moi). En y réfléchissant, je me suis rendue compte que j’étais incapable de me souvenir du dernier jour où je n’en avais pas bu. Je me suis remémoré tous mes stratagèmes pour en avoir toujours au frais (rien de pire que le Coca tiède), pour ne pas avoir à sortir de chez moi le week-end, pour m’approvisionner quand j’étais chez mes parents. Je me suis rappelé que je savais au centime près le prix du pack de 4 bouteilles de 50 cl dans chaque supermarché de Paris (sacrée inflation sur le Coca, d’ailleurs). Je me suis souvenue de l’évolution de ma consommation : une canette par jour lors d’un régime en 2018 (boire pour ne pas manger), qui s’est multipliée avant de devenir une petite bouteille de 50 cl, qui s’est elle-même multipliée. Pendant le confinement, l’année de mon travail 24h/24, j’ai commencé à boire du Coca zéro le matin, pour me donner du courage et de l’énergie (je ne bois ni café, ni thé). La journée, j’en buvais pour tenir, et le soir, pour me récompenser. Pendant ma dépression, le coca était pratique : flemme de cuisiner ? Je buvais du Coca. Évidemment, quand j’ai repris le travail, le Coca zéro était là, mon fidèle allié. Un coup dur ? Coca zéro. Une célébration ? Coca zéro. Un projet excitant ? Coca zéro. Une longue journée ? Coca zéro. Petit à petit, c’est devenu ma béquille et mon doudou, un réconfort qui avait certes un prix (je vous raconte pas le budget) mais qui était toujours disponible. Le Coca zéro ne m’a jamais rejetée, le Coca zéro ne m’a jamais brisé le cœur, le Coca zéro ne m’a jamais ghostée.
Quand j’y pense, je me dis que c’était peut-être l’addiction la plus facile à assumer. Parce qu’elle me rappelait certaines figures intello-glamour (Joan Didion qui buvait du Coca au petit-déjeuner, la photo de Louise Bourgeois qui slurpe sa canette à la paille), parce qu’elle ne faisait pas grossir, er bien sûr parce que sa consommation est bien moins sévèrement jugée que celle de l’alcool (même si ça n’a pas empêché un vieux mec de me faire la leçon dans le métro un matin, pensant que je n’étais peut-être pas au courant que c’était « du poison »).
Bien sûr que je le sais, que c’est mauvais pour la santé (ma mère n’a de cesse de me le répéter depuis environ toujours) mais j’ai longtemps cru que le Coca zéro m’aidait à vivre. Qu’il valait mieux être en vie et boire du Coca zéro, plutôt qu’arrêter et me jeter par la fenêtre. J’avais bien remarqué, avec le temps, que mon esprit était toujours en ébullition, que je n’arrivais pas à l’éteindre ou à lui demander de se calmer. Que boire du Coca zéro ne m’encourageait pas à manger mieux, ni ne me donnait vraiment de l’énergie sur le long terme. Que l’idée d’en boire me réjouissait, mais que passé les 2 premières gorgées, l’effet magique se dissipait.
Je crois que j’ai commencé à vraiment m’inquiéter quand je me suis mise à boire un Coca zéro dans le métro, le matin, pour me donner la force d’arriver jusqu’au boulot. Quand je suis allée me faire couper les cheveux en amenant ma bouteille de Coca zéro et en demandant de la mettre au frais pour la boire un peu plus tard. Quand tout le monde est allé voir le corps de ma grand-mère au Funérarium et que je suis restée dehors, à boire mon Coca zéro.
Je me suis dit que j’allais profiter du Dry January pour essayer de passer un mois sans en boire. Le 2 janvier, j’ai allumé des bougies, j’ai ouvert un cahier et j’ai fait une cérémonie du dernier Coca zéro. J’ai bu les 50 derniers centilitres en notant ce que le Coca zéro représentait pour moi, en refaisant l’historique de ma consommation – quand j’étais petite, il n’y en avait jamais chez mes parents (je fais encore des cauchemars où je dois boire de l’Antésite), c’était la boisson de la fête, celle des anniversaires, du Nouvel an, des grands parents ; peut-être une canette au conservatoire, quand il restait de l’argent de poche ; une grande bouteille exceptionnelle achetée au Shopi et bue le samedi après-midi en ville, avant de rentrer en bus à la maison –, en écrivant noir sur blanc mes craintes (avoir encore moins d’énergie, compenser avec la nourriture, ne plus avoir de solution doudou) et en essayant de me convaincre que j’allais y arriver.
Pour la plupart des gens, le Dry January est l’occasion de faire une pause dans sa consommation d’alcool, de vérifier qu’on y est pas accro et de questionner son rapport à cette substance.
Mon rapport à l’alcool est très différent de mon rapport au Coca zéro : pendant longtemps je n’ai pas bu d’alcool, et encore aujourd’hui, ma consommation est atypique.
Peut-être est-il intéressant de mentionner que mes parents ne sont pas de grands buveur·euse·s : je ne les ai jamais vus saoul·e·s, aux repas de fête iels font verre de vin et verre d’eau communs, et leur plus grande folie c’était de se partager une bouteille de bière bio de 33 cl parfois, quand mon père rentrait d’un concert. Mes parents ont une vie très saine – pas de tabac, très peu d’alcool, une alimentation bio quasi végétarienne – et si j’ai allègrement transgressé des règles en matière d’alimentation (et de Coca zéro, donc), j’ai grandi en voulant désespérément leur plaire. J’ai donc décidé d’être une fille raisonnable, responsable et mature, et de me tenir éloignée des tentations de l’adolescence. Il faut dire aussi que je n’ai jamais aimé le goût de l’alcool: même noyé sous le sucre, j’ai toujours trouvé ça dégueulasse. Pendant les fêtes, il y avait toujours quelqu’un·e qui tentait de me convaincre que « non mais dans ce cocktail on sent VRAIMENT PAS l’alcool » (et en fait si). Je me suis persuadée que ça ne m’empêchait pas de m’amuser, et je suis devenue la témoin sobre des beuveries de mes ami·e·s : je les ai vu·e·s virevolter sur la piste de danse, je les ai observé·e·s tituber ou tenter d’escalader un mur, je les ai écouté·e·s faire des grandes déclarations d’amour au monde entier, je leur ai tenu les cheveux pendant qu’iels vomissaient. Si je me sentais un peu seule et jalouse pendant le début de leur ivresse, lorsqu'iels se sentaient invincibles, j’étais ravie d’avoir choisi la sobriété quand l’alcool devenait mauvais, et je ressentais une certaine fierté à ne pas me mettre dans des états aussi “minables”. Je crois aussi que j’ai toujours aimé être originale, ne pas faire comme tout le monde, et ne pas boire d’alcool (« tout en étant fun, si-si je te jure ») est devenu une partie de ma personnalité.
Si je suis vraiment honnête, au-delà de vouloir plaire (ou ne pas déplaire) à mes parents, de ne pas aimer le goût et de vouloir me démarquer, je pense que la raison qui a fait que je n’ai pas bu d’alcool pendant très longtemps, c’est que je refusais de perdre le contrôle. J’avais du mal à savoir qui j’étais, ce que je devais faire, ce que je voulais faire, j’étais terrorisée à l’idée de me tromper, de faire une bêtise, d’être gênée ou gênante, alors il était hors de question de baisser la garde.
Pourtant, à force de tenir ma garde bien haute, la gêne et la peur de vivre ont dévoré ma tête et mon cœur. Je rêvais d’amour – moi aussi je voulais danser et rouler des pelles sur la piste, sentir un corps se tendre contre le mien, me retrouver dans un lit nue avec quelqu’un, le souffle haletant… Mais j’en étais incapable. J’étais tétanisée.
Il a fallu que je commence à boire de l’alcool pour pouvoir regarder un garçon qui me plaisait dans les yeux, pour m’autoriser à lui parler, pour ne pas partir en courant quand il manifestait son intérêt. Il a fallu que je commence à boire de l’alcool pour pouvoir ne serait-ce qu’aller à un date (souvenir honteux de la bouteille de rhum dans le placard sous l’évier de ma cuisine dont je buvais des rasades pures pour me donner le courage d’aller au rendez-vous)(je le fais encore). Il a fallu que je commence à boire de l’alcool pour oser habiter mon corps. Il a fallu que je commence à boire de l’alcool pour m’autoriser à séduire, embrasser, me déshabiller, sucer, me laisser lécher, me faire pénétrer.
Aujourd’hui encore, j’ai du mal à faire sans. En tous cas, jamais la première fois.
Je ne bois de l’alcool que pour l’ivresse : je n’aime toujours pas le goût, je ne bois jamais un seul verre. Je bois pour me libérer, pour sortir de ma tête, pour arrêter d’être coincée dans mon corps. Je bois quand je suis en groupe, je bois quand je suis dans les bars, je bois quand je vais en soirée, je bois quand je vais à un date.
Il y a quelques temps, j’ai lu dans la newsletter sexo Intimité·s des témoignages sur l’impact des fêtes de fin d’année sur le désir sexuel. Un homme déclarait :
«Je bois pas mal pendant les fêtes. L'alcool a tendance à me couper mes envies et j'évite de draguer ou d'avoir des relations sexuelles avec une personne alcoolisée».
Je me suis dit que c’était dommage, que si je le rencontrais je ne pourrais jamais coucher avec lui (oui bon, lui ou quelqu’un·e comme lui, vous voyez l’idée). J’ai trouvé ça triste.
Surtout que je vois très bien où peu(ven)t être le(s) problème(s) à n’avoir des relations sexuelles que sous l’emprise de l’alcool : ça me rend vulnérable, ça me fait prendre des mauvaises décisions et/ou accepter des choses dont je n’ai pas envie. Et surtout : ça me fait oublier.
Quand j’ai commencé à prendre des anti-dépresseurs, personne ne m’a dit qu’il valait mieux ne pas boire d’alcool en même temps.
La première fois que j’ai fait un black-out, je me suis “réveillée” en pleine nuit, nue, assise sur des toilettes, dans un appartement que je ne connaissais pas. Je n’avais aucun souvenir de la manière dont j’étais arrivée là, de ce que j’avais fait avec l’homme qui dormait nu dans la chambre, et il a fallu que j’ouvre Google Maps sur mon téléphone pour savoir où je me situais géographiquement. Ne sachant pas quoi faire, je suis allée me coucher sur le canapé. Quand l’homme s’est réveillé, il m’a demandé pourquoi je n’étais pas revenue dans le lit, et quand je lui ai expliqué que je ne me souvenais de rien, je crois qu’il ne m’a pas crue. Il a dû penser que je n’assumais plus (alors que certes, je n’étais pas hyper sûre de mon choix, mais ça me faisait encore plus flipper de ne pas me souvenir comment je l’avais fait), il m’a garanti que j’avais eu l’air tout à fait normale et qu’il ne m’avait forcée à rien. {Attention, je tiens à préciser qu’il ne m’a pas droguée. Je n’avais pas mangé la veille et j’ai VRAIMENT beaucoup bu.} Une fois rentrée chez moi, encore sous le choc, j’ai fait des recherches sur le black-out : il s’agit d’un trouble du fonctionnement du cerveau, qui n’arrive pas à enregistrer les souvenirs. Sur le moment, on est parfaitement soi-même, on peut discuter, faire l’amour et même conduire (!), mais rien ne se grave sur le disque dur de la mémoire, et les souvenirs sont perdus à jamais. Ce phénomène est favorisé par une consommation d’alcool très rapide et/ou en très grande quantité, et peut être accentué par la prise de médicaments comme les anti-dépresseurs.
J’ai fait d’autres black-outs, moins impressionnants mais tout aussi gênants : j’ai eu des conversations profondes et sérieuses et j’ai tout oublié de ce qu’on m’a confié, je n’ai eu aucun souvenir d’un premier baiser ou d’un premier rapport sexuel, j’ai cherché des indices dans mon appartement sur ce que j’avais fait la veille, comment j’étais rentrée, ce que j’avais cuisiné, où j’avais mis mes clés, pourquoi mon lavabo était rempli de vomi séché…
Et puis il y a eu un black-out qui m’a fait très peur et qui m’a calmée. J’ai été réveillée (pour de vrai) par un couple de jeunes inconnu·e·s à Saint-Ouen, parce que je m’étais endormie dans la rue. Je ne connaissais plus personne à la soirée où j’étais et en sortant, je m’étais rendue compte que j’avais perdu mon téléphone. Incapable de savoir comment rentrer et épuisée, j’ai dû décider de m’asseoir quelques minutes sur une marche et j’ai fermé les yeux. Je ne sais pas combien de temps j’ai dormi là, je n’ai pas de souvenirs du moment où le couple m’a réveillée : mes souvenirs ont recommencé à s’enregistrer pendant notre marche vers la Porte de Clignancourt, alors que le jour commençait à se lever. J’étais encore saoule, je répétais en boucle que j’avais vraiment tellement de chance de les avoir rencontré·e·s, qu’iels étaient les meilleures personnes du monde entier, que j’étais désolée et que je les aimais. J’étais complètement perdue sans mon téléphone, et je n’ai même pas réalisé que puisque j’avais toujours mon sac et mon portefeuille, je pouvais prendre un taxi pour rentrer. Les adorables petits jeunes m’ont commandé un Uber et le garçon a écrit, à ma demande, son nom et son numéro sur un papier qu’il est allé demander à un bar qui venait d’ouvrir, pour que je puisse le rembourser. J’ai indiqué la Gare de l’Est (je ne devais pas me souvenir de mon adresse) et j’ai ensuite marché par automatisme jusque chez moi, composé mon digicode et ai monté les 4 étages. J’ai ouvert la porte et je suis tombée nez à nez avec ma mère qui m’avait attendue toute la nuit, morte d’angoisse, appelant mon téléphone sans succès (parce que oui, toute cette aventure s’est bien entendu déroulée alors que ma mère et ma sœur jumelle étaient exceptionnellement à Paris et dormaient dans mon appartement).
J’ai dessaoulé en un instant et j’ai fondu en larmes, morte de honte (en plus, j’avais perdu le papier avec les coordonnées de mon sauveur que je n’ai jamais pu remercier une fois sobre, ni rembourser)(j’aimerais tant le retrouver). J’ai mis plusieurs heures à retrouver mes esprits (et mon téléphone, perdu à la soirée et récupéré par une fille de l’orga), et plusieurs semaines à digérer ce qu’il s’était passé. Je me croyais sérieuse et “raisonnable” dans mes excès, je pensais que devant le danger j’aurais des réflexes de protection et de sécurité, je n’imaginais pas être capable de devenir cette saoularde qui s’endort dans la rue, je ne soupçonnais pas que je pourrais tomber aussi vite aussi bas. J’ai eu TELLEMENT de chance qu’il ne m’arrive rien, que la route de ces deux jeunes aient croisé ma micro-sieste, qu'iels aient eu la bonté de me réveiller et de m’aider à rentrer chez moi. Cœur sur elleux jusqu’à l’infini, vraiment.
J’aimerais vous dire que je n’ai pas touché une goutte d’alcool depuis, mais bien sûr ce n’est pas vrai (j’ai mis du temps, cela dit). Je ne sais toujours pas comment être cool et détendue dans les soirées, je ne sais pas danser ni être à l’aise dans mon corps, je ne sais pas comment oublier mes complexes et mes névroses, je ne sais pas comment prendre des risques, je ne sais pas comment oser aller vers l’autre, l’embrasser, me mettre nue devant lui, je ne sais pas comment lâcher prise sans alcool.
Dans le court-métrage Les Belles Cicatrices, l’héroïne dit à son ancien amoureux :
« Il n’y a que quand tu bois que tu es vraiment toi-même ».
Comment faire pour arriver à être vraiment soi-même sans alcool ?
Dans cette rubrique, je vous raconte les coulisses de la newsletter, les œuvres qui m’ont aidée à l’écrire et les étapes par lesquelles je suis passée. Promis, vous saurez TOUT.
Il existe bien évidemment plein d’autres expériences de l’alcool que la mienne, et depuis quelques années naissent de plus en plus d’œuvres culturelles sur ce sujet, notamment du point de vue des femmes. Voici mes préfs :
1– Avec Sans alcool, la journaliste et autrice Claire Touzard a ouvert le bal de la libération de la parole sur l’alcoolisme au féminin et l’arrêt de l’alcool. Dans ce récit-enquête (également disponible en poche), elle raconte comment l’alcool a été le pilier de sa construction en tant que femme et questionne la norme sociale qu’est la consommation d’alcool, surtout en France. Elle parle de genre (boire beaucoup pour ne pas être une fille comme les autres), de classe (on est aussi bien alcoolique pauvre au PMU que riche en buvant des grands crus), de l’héritage familial (bien souvent pas anodin sur le développement d’addictions), du regard de l’entourage (qui se sent jugé sur sa propre consommation d’alcool quand quelqu’un·e annonce ne pas en boire), et raconte son chemin vers la sobriété et son pouvoir subversif. Indispensable.
2– J’ai découvert le travail de l’autrice et illustratrice Julia Wertz il y a une quinzaine d’années quand elle a co-créé le studio d’illustratrices de bande dessinée Pizza Island (avec notamment la française Domitille Collardey, mais aussi Lisa Hanawalt avant qu’elle ne dessine brillamment BoJack Horseman (une des meilleures séries de tous les temps) et qu’elle ne crée Tucca & Bertie (une autre des meilleures séries de tous les temps). Au début je n’étais pas très fan de son style d’illustration, mais j’ai très vite beaucoup ricané devant ses comics trash et hilarants sur son site au nom délicieux : The Fart Party (la Fête du Prout). En 2014, j’ai été sidérée en lisant le long texte qu’elle a écrit et dessiné sur la plateforme Narratively (désormais plus en ligne, mais qu’on peut lire grâce au site Internet Archive Wayback Machine) intitulé “The Fart Party’s over” (la Fête du Prout est finie). Alternant textes et BD, elle raconte sa dépression et son alcoolisme sans fard, et comment la BD humoristique l’a longtemps empêchée de réaliser que ce qui faisait tant rire les autres la faisait souffrir et risquait de la mener à la mort. Elle a alors fait un break de BD pendant 2 ans, s’est passionnée pour l’urbex et s’est sevrée de l’alcool. Je me rappelle avoir été profondément bouleversée par son texte, par son honnêteté mais aussi par le “risque” qu’elle prenait en dévoilant tout ça publiquement (ce n’était pas courant à l’époque), surtout venant d’une jeune femme (j’avais une vision biaisée des “personnes alcooliques”). J’ai depuis dévoré toutes ses BD qui sont excellentes (toutes publiées en VF chez L’agrume), mais je vous recommande tout particulièrement Les Imbuvables ou comment j’ai arrêté de boire (traduit par Aude Pasquier) qui raconte dans le détail son combat contre l’alcool, avec justesse et énormément d’humour (mais un humour qui soigne).
3– J’ai écouté la série de podcasts Des femmes qui boivent de LSD sur France Culture à sa sortie, au plus fort de ma dépression, et je l’ai trouvée brillante (elle m’a notamment beaucoup éclairée sur le vide qu’on peut ressentir en nous, la tentation de le remplir avec de l’alcool, et m’a inspiré une “solution” à ce texte d’Anatomie d’une dépression). Dans cette série de 4 épisodes, Juliette Boutillier (accompagnée à la réalisation par Nathalie Battus) explore l’alcool au féminin, entourée de femmes puissantes (DAMNED YOU Léa Salamé d’avoir gâché cette expression pour toujours) qui ont (eu) une relation particulière avec l’alcool (dont Virginie Despentes, que je trouve souvent plus éloquente en interview que dans ses livres)(exception faite de King Kong Théorie). Elle évoque le genre de l’alcool (émettant l’hypothèse qu’on méprise l’alcoolisme des femmes car quand elles boivent, elles ne sont pas en train de s’occuper des autres), la joie de l’ivresse (boire, c’est sortir de soi, c’est le soulagement de la vie), le pouvoir de l’emprise et le défi de la sobriété (découvrir qui on est sans alcool, apprendre la séduction et le sexe sans alcool). Elle promène son micro autant dans des bars que dans des groupes de parole, elle le tend à des (ex)couples, à des femmes qui boivent de l’eau dans des bouteilles de vodka et à une thérapeute en addictologie géniale, c’est à la fois vertigineux et réconfortant et je vous le conseille grandement.
4– Un de mes genres préférés en littérature est hybride : un mélange de récit intime, de non-fiction incarnée, d’histoires d’autres personnes, d’enquête et de références culturelles (la Queen étant Maggie Nelson, même s’il m’arrive souvent de me sentir bête en ne comprenant pas ses références culturelles). Leslie Jamison fait partie de cette team, et son ouvrage Récits de la soif – de la dépendance à la renaissance (traduit par Emmanuelle et Philippe Aronson) en est un parfait exemple. Elle y raconte son alcoolisme, questionne notre rapport à l’addiction et s’appuie sur les vies et les œuvres d’écrivain·e·s/artistes dépendant·e·s. Un gros pavé fascinant.
5– En re-regardant le court-métrage Les Belles Cicatrices pour cette newsletter, je me suis rendue compte que j’avais complètement inventé la citation que j’ai écrite à la fin de mon texte (c’est un résumé de ce que dit le personnage féminin, mais elle ne le dit pas comme ça). Ça m’a fait sourire et je me suis dit que j’allais quand même la laisser : c’est ce que j’ai choisi de retenir, c’est de cette manière-là que cette tirade m’a parlé. Dans ce court-métrage d’animation signé Raphaël Jouzeau, on assiste aux retrouvailles dans un café de Gaspard (Quentin Dolmaire) et Leïla (la géniale Fanny Sidney, Camille dans Dix pour cent) à la fin de l’été, un mois après leur séparation. Objets, souvenirs, regrets et reproches prennent vie grâce aux images d’animation sublimes mélangeant dessin et prises de vue réelles retravaillées, avec des textures et des couleurs magnifiques. Ça parle de la difficulté d’être qui on est, de l’alcool qui désinhibe, des disputes qu’on a l’impression d’assumer seul·e et des cicatrices que laisse l’amour. Il dure 16 minutes et il est disponible gratuitement en ligne sur le site d’Arte jusqu’au 20 mars 2025, ne le ratez pas.
6– Tara Booth est une illustratrice américaine que j’adore et qui est – dans mes rêves – la version illustrée de cette newsletter : la représentation graphiquement magnifique et pleine d’humour d’une réalité pas forcément séduisante, loin des corps aseptisés et des pensées positives, loin des intérieurs rangés et des hygiènes de vie parfaites, loin de l’idéal féminin et des canons esthétiques du dessin. C’est à la fois moche et sublime, j’adore (d’ailleurs si quelqu’un·e veut m’offrir cette affiche, qu’iel n’hésite pas). Depuis 2017, elle raconte sur son compte Insta son arrêt de l’alcool et les difficultés de la sobriété. Sa nouvelle BD Processing : 100 Comics That Got Me Through It (en anglais, mais il n’y a pas beaucoup de texte et c’est très facile à comprendre) porte parfaitement bien son nom puisqu’il s’agit d’une compilation de 100 BD qui évoquent chacune à leur manière (mais toujours avec beaucoup d’humour, de couleur et de mochebeauté) ses combats contre l’addiction, l’anxiété, les TCA, mais aussi les petits défis relous de tous les jours (mettre seule une housse de couette, ne pas manger le paquet de céréales en une seule fois), des considérations esthétiques sur les anus (haha) et la sexualité sobre, mais surtout le long chemin vers la guérison, ou au moins l’apaisement.
Dans cette rubrique, je donne la parole à l’intimité de quelqu’un·e d’autre que moi, à d’autres vies que la mienne. Chaque mois, je lance un appel à participations sur mon compte Instagram en indiquant la thématique de la prochaine newsletter, et je recueille des témoignages via un formulaire anonyme. J’en choisis un (c’est souvent difficile, pardon à celleux qui me font la gentillesse de se confier et à qui je ne donne pas suite !), je le digère, je pose parfois quelques questions supplémentaires, puis j’écris ma version, ce que j’en ai compris, ce qui m’a touchée, ce que j’en ai gardé. Ce mois-ci, j’ai reçu peu de témoignages – la période de Noël n’était peut-être pas idéale et je m’y suis prise tard. Je voulais absolument donner le point de vue d’une personne ayant lutté contre l’addiction à l’alcool, et je me suis souvenue des stories passionnantes d’Anaïs écrite sur son expérience. Avec son accord, en voici une version éditée et condensée. Merci Anaïs pour ta confiance 💛
Si vous lisez cette newsletter le jour de son envoi, alors cela fera exactement 1 an 2 mois et 24 jours – 451 jours, 10 824 heures, 649 440 minutes – qu’Anaïs a arrêté de boire de l’alcool.
L’année de ses 34 ans, elle a changé d’appartement, décidé de devenir mécanicienne vélo après avoir passé quinze ans à être libraire, appris environ un milliard de choses, rencontré de chouettes nouvelles personne, trouvé le boulot de ses rêves et réalisé qu’il était peut-être temps d’arrêter de boire de l’alcool.
C’était un matin de novembre 2023 : elle a décidé d’enlever ses œillères, de tirer un trait sur des années de déni et de privilégier enfin sa santé mentale et physique – ou comme elle le dit : de ne pas crever.
Ce matin de novembre 2023, le réveil pique atrocement : c’est un matin de semaine, elle a dormi à peine quatre heures et elle est encore en gueule de bois. Impossible de se lever pour aller travailler, elle est secouée par des nausées et d’atroces brûlures d’estomac, un sentiment confus de honte collé à elle comme une seconde peau, et elle ne se souvient pas comment elle est rentrée la veille. Elle sait qu’elle a tellement bousillé son estomac et son oesophage qu’elle va vomir pendant 24 heures non-stop – peut-être même du sang – et voit dans le regard de celle qui partage sa vie un mélange de colère – d’avoir subi une fois de plus son incapacité totale à s’arrêter – et d’inquiétude – de voir la personne qu’elle aime se foutre en l’air à coup de pintes. Elle entre dans la salle de bain, croise son regard et sa mine défaite dans le grand miroir de la salle de bain, envoie un message pour dire qu’elle n’ira pas travailler en prétextant une migraine et s’assoit sur le sol, sentant le froid du carrelage à travers son pyjama. Elle reste assise de longues minutes traversée par des spasmes et des sueurs froides d’une violence inouïe, la gorge nouée, le plexus sous une enclume, à se demander ce qu’il lui faut de plus pour admettre la gravité de sa situation. Ses larmes s’écrasent sur le carrelage comme dans un clip emo de son adolescence et elle décide qu’il faut que ça s’arrête, qu’elle arrête de boire, définitivement.
Tout le monde a toujours trouvé ça plutôt marrant, la capacité d’Anaïs à descendre des verres. Déjà en 5e, à la pause de midi, quand les parents avaient exceptionnellement signé une autorisation de sortie pour qu’elle aille manger un grec sur le bord de la Seine de la ville de banlieue où elle était au collège, ça faisait marrer tout le monde qu’elle enquille 3 bouteilles de Despé à l’heure du déj’. Et puis à 18 ans, en soirée, qu’est-ce qu’on se marre avec elle, cette descente de camionneur qu’elle a, trop fou le nombre de shooters qu’elle peut enchaîner, elle plie même tous les mecs. Et pareil à 20, 25, 30 ans : ça fait partie du personnage. Petit à petit, les alcools ont changé, les modes de consommation, la fréquence et le nombre de verres aussi.
Boire avant de rejoindre les copain·e·s au bar, juste pour prendre un peu d’avance, sans que ça se voit. Boire seule, très souvent, et dans des quantités pas du tout acceptables. Prétendre un dîner chez le caviste et boire sa bouteille de Gamay toute seule, comme une grande. Aller recommander une pinte quand autour de la table tout le monde n’a bu qu’un tiers de la sienne. Se resservir un verre de vin quand personne ne la regarde, le descendre cul sec (quand bien même il s’agit d’un Château de Béru qui méritait mieux que ça) parce qu’autour les gens boivent moins vite qu’elle et qu’elle a besoin de sa dose. Besoin que ça agisse, plus vite, plus fort. Que le verrou de son anxiété sociale saute, que les traumas qu’elle trimballe s’estompent, que la pression se relâche, enfin.
Sur le papier, elle n’a pas grand chose à voir avec le type qui boit sa 8-6 sous un porche à 9h du mat’. Elle ne cache pas ses bouteilles de whisky ici et là, elle a même arrêté l’alcool fort depuis un bon moment parce qu’elle ne le supporte plus. Elle boit de la bière, de la mauvaise bière parfois, mais un aussi tout un tas de super craft beers hyper stylées, du vin mais attention du vin nature, elle se fout en l’air en se noyant dans ses addictions avec panache et bon goût, la couverture du bien vivre / bien manger / bien boire.
« Bonne vivante » : terme on ne peut plus ironique parce qu’en vrai, boire de l’alcool donne à Anaïs envie de crever. Ne pas en boire aussi.
Si elle décide d’arrêter de boire de l’alcool ce matin de novembre 2023, ce n’est pas parce qu’elle a mis des tunnels à des potes en soirée, pas parce que qu’elle a été gênante devant celleux qu’elle aime, pas parce qu’elle a envoyé – bourrée – des messages qu’elle a terriblement regrettés, ni parce qu’elle a mis ses proches dans des situations désagréables. Ce n’est pas non plus parce qu’elle en a eu marre de se réveiller avec des bleus inexpliqués, pas parce qu’elle a fini par avoir de vrais problèmes de santé, pas parce qu’elle s’est cassé 3 côtes à vélo, pas parce qu’elle a eu une commotion cérébrale, pas parce que a perdu ses papiers et sa carte bleue 12 fois en 10 ans. Enfin, pas uniquement.
Si elle décide d’arrêter de boire de l’alcool ce matin de novembre 2023, c’est parce qu’elle sent qu’elle est en train de sombrer, que sa santé mentale est en danger, et que si elle ne s’arrête pas, elle va crever.
Bien sûr, arrêter de boire n’a pas été facile : elle est devenue irritable, a vécu des cravings particulièrement costauds – un terme utilisé en addictologie qui se manifeste par une envie irrépressible et incontrôlée de consommer, et s’accompagne de symptômes à la fois physiques (tremblements, sueurs froides, rythme cardiaque à 12 000) et psychologiques (pensées intrusives) – des doutes, la violence de se faire face, les regards condescendants dans lesquels transparaissent le jugement et la pitié, les personnalités médiatiques qui déclarent en prime time que les gens qui ne boivent pas d’alcool sont chiants. Mais aussi la lutte contre l’incitation perpétuelle à boire, le manque, l’envie qui ne la quitte pas – les jours où traverser le rayon alcool du supermarché est une épreuve, les jours où refuser le verre qu’on lui propose est un exploit, les moments où rester attablée dans un bar plus d’une heure est une prouesse parce que l’envie de boire l’obsède et l’empêche d’être au monde.
Ne pas boire quand on est alcoolique, c’est un combat 24h/24, une lutte au quotidien, une hypervigilance permanente. Malgré les règles, les outils et les stratagèmes pour ne pas flancher qu’elle a mis en place, l’alcool et les sollicitations sont partout et elle dépense une énergie folle à décider tous les jours, à chaque instant, de NE PAS boire.
Depuis qu’elle a arrêté de boire, les matins sont devenus plus doux. Elle hait beaucoup moins la vie et elle-même quand elle ouvre les yeux. Elle n’a plus à faire un inventaire mental de son état physique, à tenter de se souvenir ce qu’elle a dit et fait la veille, à recoller les morceaux épars des souvenirs flous de la veille. Elle profite mieux des moments passés avec celleux qu’elle aime, se souvient mieux de leurs conversations et commencent à accepter l’idée que c’est la Anaïs sobre qu’iels aiment, que cette version-là suffit. Elle a retrouvé l’envie et l’énergie de faire des activités et des projets. Elle a redécouvert combien elle aimait être seule, combien elle aimait marcher, courir, nager, ressentir chaque centimètre de son corps sans qu’aucun sentiment de honte ni de confusion ne vienne la troubler. Elle a redécouvert comme elle aime prendre le temps d’observer et de sentir tout ce qui se passe autour d’elle, les moindres détails, les variations de la lumière, les lignes d’horizon, la musique qui s’échappe d’une fenêtre devant laquelle elle passe, la sensation du vent sur ses joues quand elle est à vélo, le bruit de la ville et le silence de la campagne, la courses des nuages, partout, tout le temps. Elle a réappris à rencontrer des personnes sans le lubrifiant social qu’est l’alcool (même si, sous l’emprise de l’alcool, on ne rencontre personne en réalité). Toutes les personnes qu’elle aime, elle les aime mieux, elle les voit mieux, elle les écoute mieux.
Plus d’un an après avoir arrêté de boire, elle a toujours une oesophagite aiguë, des difficultés de déglutition dues à une dysphagie et une tendance à la nausée bien plus élevée que la moyenne. Elle ne crie pas victoire : elle sait qu’elle sera toujours une alcoolique qui ne boit pas. Elle a appris à ne pas se juger, à accepter que l’alcool avait été la seule réponse possible à ses difficultés, mais qu’elle n’était pas forcée d’en faire une fatalité.
Elle a appris à être plus douce avec elle-même, à vivre avec le vide qui l’habite et celui qui l’entoure aussi. Elle a réappris à être au monde sans le filtre déformant de l’alcool. Elle a réappris qu’elle avait une voix. Et ce n’est pas rien, une voix.
Au Panthéon de mes artistes préférées, il y a Albertine Meunier et son projet My Google Search History dans lequel elle compile TOUTES ses recherches Google depuis 2006, qu’elle donne à voir au public à travers des expositions et des éditions (et on peut même les consulter en temps presque réel ici). Pionnière de l’art numérique, elle a compris avant tout le monde (et avant que Google ne veuille en tirer des profits) le potentiel sociologique et poétique de nos recherches sur internet, et j’adore le portrait en creux de sa vie qu’elle dessine (même si je soupçonne Albertine d’utiliser parfois la navigation privée pour certaines recherches). Quand j’étais au Canada, j’avais pris l’habitude de partager une sélection de mes recherches Google sur mon Tumblr comme prétexte pour raconter certaines anecdotes. En hommage à Albertine et à mon moi de 2014, je poursuis cette démarche ici.
Celleux qui me connaissent IRL savent que je ne suis pas une meuf très branchée sciences. Mon amie Julia, passionnée d’astronomie et de physique quantique, en sait quelque chose (elle a essayé de m’expliquer de nombreuses fois la théorie des cordes et les trous noirs, sans succès). ET POURTANT, en cette fin d’année, j’ai cherché à en savoir plus sur la Station spatiale internationale (ISS pour les intimes bilingues). Vous vous demandez peut-être comment j’en suis arrivée là ?
{BRUIT DE REMBOBINAGE}
En octobre dernier, sur les conseils de Pauline, j’ai lu Girlfriend on Mars de Deborah Willis. Il ne m’avait pas tapé dans l’œil dans la sélection de la rentrée littéraire des Inrocks mais sa couverture me faisait de l’œil à chaque passage en librairie (et pourtant, vous savez comme je suis exigeante avec les couvertures de livres) et une autre Pauline en a dit le plus grand bien, alors j’ai cédé. Et bien m’en a pris puisque ça a été une de mes meilleures lectures de 2024 (j’ai même écourté un date pour rentrer le lire, c’est dire). Le pitch en (très) bref : dans leur entresol des quartiers est de Vancouver, Kevin et Amber, la trentaine désenchantée, végètent sur leur canapé. Pour Kevin, le projet de vie est assez clair : cultiver leurs plants de cannabis et s'engager à aller nulle part, ensemble. Mais face à l'effondrement général, Amber a besoin d'idéal et d'action. Elle a besoin d'espace. Ainsi s'inscrit-elle au casting de MarsNow™, nouvelle émission de téléréalité entre Survivor et Star Trek, qui entend élire le couple idéal à envoyer sur Mars pour rendre la planète rouge habitable. Un improbable aller sans retour, à remporter à force de likes et de followers.
Je n’ai jamais été déçue de mes lectures de livres ayant remporté le Booker Prize (l’équivalent britannique du Goncourt)(en fait j’ai vérifié et j’ai écrit n’importe quoi : je n’ai lu que Fille, femme, autre de Bernardine Evaristo)(mais quel livre ! et quelle autrice !) et son attribution cette année à Orbital – Seize aurores de Samantha Harvey a attiré mon attention sur cet ouvrage, dont je n’avais pas entendu parler à sa sortie au printemps dernier. Ce roman se situe à l’intérieur de la Station spatiale internationale et suit les six astronautes qui y sont en mission – un Américain, une Anglaise, un Italien, une Japonaise et deux Russes – pendant toute une journée, soit seize levers du soleil puisqu’ils sont en orbite (ça aussi, j’ai dû chercher). Certain·e·s s’inquiètent du sort de leur mariage, l’un rêve d’emmener sa fille dans l’espace, une autre fait le deuil de sa mère... Iels sont traversé·e·s par des interrogations existentielles, loin de la Terre mais en permanence les yeux rivés sur elle, partagé·e·s entre l’immensité “vue du ciel” et le souvenir de l’importance cruciale de chaque détail quand on est sur Terre. C’est sublime, poétique et drôle, mais j’ai ressenti à la lecture le besoin de comprendre certaines choses (je ne suis VRAIMENT PAS scientifique) et de voir à quoi ça ressemblait, comment ça fonctionnait. J’ai donc fait une recherche Google et je suis tombée dans un Vortex “passion ISS”. J’ai surtout regardé des vidéos, notamment celle de Thomas Pesquet qui fait visiter la Station, et j’ai réussi à avoir envie de vomir et une sensation de claustrophobie juste en la regardant (c’est super étroit et encombré, et il n’y a ni sol ni plafond ni haut ni bas)(et je vous parle même pas du bruit de soufflerie permanent qui m’a rendue DINGO)(clairement, je ne serai jamais astronaute)(c’est dommage, j’avais vraiment toutes les autres compétences sinon).
Lancée dans ma nouvelle passion, j’ai profité de mes vacances de Noël à Limoges pour visiter sa bibliothèque et y emprunter Dans la combi de Thomas Pesquet de Marion Montaigne, la seule bédéaste scientifique capable de me faire mourir de rire. Le contrat a été une nouvelle fois rempli (j’ai ri à gorge déployée), et je suis devenue un “fun facts” ambulant à chaque interaction sociale avec un autre être humain (ma famille n’en pouvait plus)(« Vous connaissez la différence entre “apesanteur” et “impesanteur” ? Et entre “astronaute” et “cosmonaute” ? Vous savez que c’est interdit de manger des chips dans la Station ? Vous savez comment fonctionnent les toilettes ? » NON. STOP.)
Ces lectures m’ont aussi rappelé un très beau film vu il y a quelques années (et que je meurs d’envie de revoir maintenant que je suis devenue une spécialiste)(hum), Proxima d’Alice Winocour avec Eva Green. On y suit le parcours de Sarah, une spationaute (vous connaissez la différence avec “astronaute” et “cosmonaute” ?) française qui est choisie pour partir à bord d’une mission spatiale d’un an et doit se préparer autant à son voyage dans l’espace qu’à la séparation avec sa fille de 8 ans, Stella.
Maintenant que je suis accro à l’espace, j’acquiesce d’un regard entendu dès que je croise quelque chose qui y fait référence. Autant vous dire que j’ai pleuré quand j’ai lu l’hommage de la NASA pour le décès de David Lynch. Keep your eyes on the donut, not on the hole.
Quand il s’agit de créer et/ou d’écrire, j’adore me donner des contraintes qui m’aident à me concentrer et à ne pas partir dans tous les sens. Et en même temps, j’ai toujours un peu envie de sortir du cadre. Alors même si chaque newsletter aura une thématique que j’essaierai de traiter dans presque toutes les rubriques, je m’autorise cet espace “hors cadre” pour vous parler d’un truc qui n’a rien à voir avec la choucroute.
Dans l’édito de cette newsletter, je vous ai raconté mon rapport à l’alcool, mais pas aux autres produits addictifs. Parmi les autres recommandations de mes parents, il y avait un discours très alarmiste sur le tabac et la drogue : il ne fallait pas fumer, c’était une addiction très mauvaise pour la santé et il était quasiment impossible de s’arrêter une fois qu’on avait commencé. Comme je voulais leur plaire à tout prix, j’ai fait miennes ces certitudes et je n’ai jamais tiré sur une cigarette, de peur de devenir accro instantanément à la première taffe. J’ai fait des cauchemars où je me mettais à fumer – qui me rendaient malade pendant plusieurs jours – et je me rappelle avec tendresse (et un peu de moquerie) une de mes grandes inquiétudes de collégienne : il y avait dans ma classe un garçon qui avait redoublé deux fois, et à qui la prof de français demandait toujours de s’asseoir à côté de moi, en espérant sans doute que mon attitude de bonne élève infuse en lui. Il était externe et revenait donc l’après-midi en exhalant une forte odeur de beuh, que je respirais contrainte et forcée. Paniquée, j’avais fini par demander à ma mère si je risquais de devenir addict en respirant cette odeur chaque semaine (haha, ma naïveté me fait encore rire des années après). Au lycée, je suis passée dans le clan des artistes babos (et donc bien habituée aux odeurs de beuh de mes comparses) et non contente de porter déjà des sarrouels, j’ai voulu avoir des atébas, qui se sont ensuite transformées en dreadlocks. Je trouvais que ça me donnait l’air cool (ça sous-entendait que je fumais des joints sans avoir besoin de le faire) et j’aimais l’idée de déjouer les a priori (surprise, je suis en fait une première de la classe super coinçoss !). À l’époque, je ne connaissais que les tubes de Bob Marley, j’avais dû entendre ou lire quelque part qu’il n’était pas très sympa avec sa (ou ses ?) femme(s) sans chercher plus loin, et je ne connaissais pas le concept d’appropriation culturelle (ni n’avais conscience du ridicule des rastas blancs). Il a fallu que je lise Dire Babylone de Safiya Sinclair, paru en août dernier, pour comprendre que je m’étais approprié un signe esthétique – les dreadlocks – sans savoir ce qu’il représentait – le rastafarisme – mais aussi sans avoir conscience ce que signifiait vraiment être une jeune fille qui portait des dreadlocks en Jamaïque, à la fois à la maison et dans la société (terrible dans les deux cas). Dans Dire Babylone, l’autrice et poétesse Safiya Sinclair raconte son enfance en Jamaïque, entre une mère amoureuse de littérature et un père musicien de reggae qui obéit strictement aux préceptes rastafaris. Dans un pays à la nature luxuriante et à la misère sociale éprouvante, écrasée par un père tyrannique qui terrorise le foyer et une mère soumise, elle doit son salut à sa soif d’apprendre et son amour de la poésie. J’ai d’abord été rebutée par la couverture française qui évoque un pays exotique à peine civilisé – passant complètement à côté de la modernité du texte, du caractère intime du récit et de l’importance des signes associés au rastafarisme (aka les dreadlocks), comme les éditions US/UK l’ont brillamment compris –, et je suis bien contente d’avoir insisté (encore influencée par les recommandations de Pauline !). Si je n’ai pas été complètement touchée par la poésie un peu trop lyrique de Safiya Sinclair, j’ai adoré son récit et tout ce qu’il raconte du mouvement rasta (qui n’est/était pas du tout majoritaire en Jamaïque, voire plutôt mal vu), de l’enfer des violences intra-familiales patriarcales, du racisme des colons anglais et du pouvoir des mots qui sauvent.
Nouvelle rubrique pour consigner les retours notables (et partageables) reçus suite à l’édition précédente !
Cyrielle m’a signalé que le livre que je vous ai conseillé sans l’avoir lu (car (re)découvert trop tard) Pour une résistance oisive – ne rien faire au XXIe siècle de Jenny Odell est épuisé. Vous pouvez toujours le trouver dans 6 librairies en France (découvrez lesquelles grâce à mon site préf Place des libraires), dans certaines bibliothèques et dans sa version originale (à la super belle couv) en anglais.
Aline m’a conseillé l’épisode “Être soi-même sans to-do list” du podcast Loin des yeux loin du care, m’indiquant qu’elle trouvait que c’était la version podcast de cette newsletter. Nouveau podcast de Calme-toi (la société de production fondée par Sophie-Marie Larrouy, qui s’est dit qu’on n’était jamais mieux payé·e que par soi-même, surtout dans l’économie des podcasts), Loin des yeux loin du care parle d’économie et de care. J’ai adoré la voix de la présentatrice Eva Sadoun (qui a un parcours tout bonnement DINGO), le fait que les témoignages ne s’arrêtent pas uniquement à des métiers CSP+/parisiens/bullshit, la possibilité d’écouter les échanges entre Eva et SML (je trouve qu’on ne comprends jamais mieux une idée que quand on la pitche à un·e ami·e/collègue et j’ai une passion pour les coulisses), l’intervention surprenante de l’influenceuse Louise Aubery (dont le compte Insta s’est longtemps appelé « my better self », en français “la meilleure version de moi-même”) et obviously le GOAT sur toutes les questions neuro et psycho, Albert Moukheiber (je vous ai dit qu’on allait au même magasin bio ? C’est un signe je pense).
N’hésitez pas à m’écrire pour me dire ce que vous avez pensé de cette newsletter, si elle vous a fait penser à des choses (culturelles ou non) que vous aimeriez partager, ou simplement pour me dire que vous me trouvez géniale, ça fait toujours plaisir (même si ma psy trouve que c’est toxique d’attendre autant la validation des autres).
Vous êtes un peu plus de 1 000 (MILLE)(!!!) personnes à lire « La moins bonne version de moi-même » et ça me fait me sentir BEAUCOUP MOINS seule. Merci pour vos retours, merci pour vos partages et merci de me lire ! N’hésitez pas à continuer <3
J'ai tellement aimé te lire encore une fois. MERCI.
Très beau texte, merci 💖